Dimanche 25 avril 2016

 

Ce matin

 en descendant du refuge,

 je me suis fait piéger, j'essaye de comprendre...

 

Depuis vendredi nous voulions descendre les enfants du refuge pour la reprise des cours. Le meilleur créneau pour éviter le brouillard et une nivologie problématique nous semblait être d'attendre dimanche matin, avec du froid (moins 10° à 7h), des éclaircies annoncées et près de 30 cm de fraîche, peu ventée (en versant sud).

 

Dimanche à 9h, 3100m :

deux guides et leurs clients ont déjà tracé la descente (dans le brouillard). Depuis le bas de la moraine ils m'ont appelé pour dire que vers 2500/2700m il percevait des risques de départ de plaques dans les parties raides. Notre descente dans le creux de la moraine devrait nous permettre de ne pas trop nous exposer. Les enfants sont prêts à partir. Nous voulons éviter le brouillard. Au bout de deux heures d'attente au refuge une timide éclaircie ouvre la voie pour notre descente. La neige est bonne à skier et semble stable. Mais très vite un brouillard très dense se referme sur nous. Visibilité nulle. Les enfants sont juste devant moi avec la consigne de skier doucement dans les traces du matin. Les enfants me demandent comment les guides ont pu se diriger en ne voyant rien. Vers 2750m environ j'ai dû mal à reconnaître une pente plus raide que d'habitude. Quelques instants après, toujours dans les traces, Yoska mon fils de 11 ans me cri, « y a une plaque » ! Juste sous ses skis le manteau neigeux est fissuré sur plus de 30 cm de profondeur. Nous ne voyons pas les « bouts » de cette fissure, dans le brouillard. Mais d'autres fissures/cassures semblent être dessinées à gauche et à droite. Je réalise que nous sommes dans le vallon à gauche de la moraine. Au dessus, la pente par laquelle nous sommes arrivés est à plus de 30°. Piégés dans un brouillard qui « chauffe » en faisant l'effet d'une serre sous les rayons du soleil... Je dis aux mômes de ne plus bouger. Il faut trouver une issue. Je déchausse pour sonder. Je m'enfonce sans résistance jusqu'au bassin. J'avance 20/30m à pied à l'horizontal à droite vers ce qui me semble être la crête de la moraine. La pente se redresse, ça me semble trop dangereux. Retour vers les enfants. A la faveur d'un bougé du brouillard j'aperçois l'autre rive du Vallon, la fissure/cassure fait toute la largeur... Je n'ai pas trop le choix, je ne peux ni descendre ni monter ni aller à droite (trop de pente). Il faut trouver une échappatoire vers la gauche et des pentes moins exposées. Nathalie est en relation radio avec moi, je l'informe de la situation, mais de là haut elle ne voit rien et ne peut rien faire... Je remets mes skis, rejoins la fissure principale. J'ai essayé de repérer plus loin des zones de pentes moins marquées. Je dis aux enfants que je tente une traversée en descendant légèrement et qu'ils descendront à leur tour dans mes traces en étant le plus léger possible sur les skis dès que leur crierai d'y aller. Pour me rassurer peut être je prend le risque de sauter sur la cassure pour tester... J'y vais avec une très mauvaise visibilité, je traverse cette cassure... rien ne bouge. Au bout de 100 à 150m la pente se radoucit. Les mômes me rejoignent. Et sans attendre nous continuons vers le bas en cherchant toujours la moindre pente. Avec une meilleure visibilité nous glissons pour atteindre le haut de la dernière bosse de la moraine. De nouveau Yoska, devant, cri « attention »... sur le coté ouest et raide de cette bosse une plaque conséquente de 40 cm d'épaisseur est partie et fait nettement apparaître la couche de sable du Sahara tombée début avril.

 

 

Clairement je ne m'attendais pas à cette instabilité en versant sud ce jour là et à cette altitude.

Ces dernières heures nous étions plutôt centrés sur la situation en versant nord avec la neige, le vent fort, le grand froid et les risques de plaques « à vent »...

J'essaye de reprendre ce qui s'est passé, ces dernières semaines :

début avril nous avons eu plusieurs couches de « neige sablée » (beaucoup plus que les autres années) puis depuis 10 jours plusieurs chutes de « neige blanche ».

Sous 2400, il a plu et neigé, le manteau bien tassé n'est pas énorme.

Au dessus de 2800 il a beaucoup neigé, la neige est dense mais elle n'est pas trop humidifiée et lourde.

Entre 2400 et 2800m il a neigé le plus souvent une neige humide et lourde.

En en ce dimanche matin froid, il est probable que la couche de neige fraîche ait servi d'isolant ne permettant pas le regel de ces couches de neige lourde.

Dimanche entre 2400 et 2800 m en exposition sud, j'ai observé, ces fissures, mes sondages et la plaque qui est partie : il y a une couche de « neige blanche » bien dense, meuble, humide mais qui a une certaine cohésion. Cette couche repose sur les couches précédentes de « neige sablée ». Quand on sonde cette couche sablée, elle ne résiste pas du tout, elle n' a pas durcit, sans doute à cause du sable. Ce n'est pas un plan de glissement dur, comme nous en avons plus « l'habitude ». Et c'est probablement « l'alourdissement » récent des ces couches supérieurs de « neige blanche » qui a provoqué l'apparition de ces « plaques de reptation », alors que ces derniers jours nous n'avions pas l'impression d'un risque particulier et pas observé de plan de glissement sur « cette neige sablée ».

On pourrait penser, que ce qui était vrai tant que la couche supérieure était encore assez « légère » avec une apparente stabilité, une bonne skiabilité avec « ensemble meuble mais qui se tenait plutôt bien », n'est plus vrai lorsque la couche blanche supérieure s'épaissit et s'alourdit. Elle en vient à glisser sur le plan sableux. Ce qui semblait vrai (?) hier, ne l'est plus aujourd'hui ?

 

Je n'aurai probablement pas fait les choix que j'ai fait ce dimanche si j'avais pris conscience de ce problème, auquel nous n'avons rarement ou même jamais été confronté (avec une quantité aussi importante de sable).

Ce n'est bien évidement pas un regard global de ce qui s'est passé, il y aurait beaucoup d'autres choses à analyser et notamment la question du brouillard. Mais je voudrais juste attirer l'attention dans ce cas précis sur cet "empilement" de couches récentes au printemps avec au milieu cette problématique du sable...

 

Frédi Meignan

Gardien du refuge du Promontoire

Le 26 avril 2016