Vers la Pointe Louise : Anouk en juin 2001.
Vers la Pointe Louise : Anouk en juin 2001.

Un an et demi avant son accident en montagne, Anouk, alors en classe de 3éme, a rédigé un texte, dans le cadre scolaire, pour répondre à la question "Qui suis je ?".

J'ai envie de partager quelques extraits de ce qu'avait alors écrit mon fils ainé, accompagnés de photos que j'ai rajouté :

Anouk et son frère Kolia, non loin du refuge de l'Aigle. Son deuxième frère, Tim, n'avait que 5 ans à ce moment là et donc pas encore sur le chemin de  la Meije....
Anouk et son frère Kolia, non loin du refuge de l'Aigle. Son deuxième frère, Tim, n'avait que 5 ans à ce moment là et donc pas encore sur le chemin de la Meije....
Kolia et Anouk en face nord des Ecrins.
Kolia et Anouk en face nord des Ecrins.

Moi, qui suis je ? (extraits)

 

"Moi, qui suis je ?, j'ai décidé de diviser ce récit en plusieurs chapitres qui seront autant de réponses à cette interrogation. Cependant, je n'aurai pas assez de 10 pages pour les donner toutes. Je choisirai les plus importantes à mes yeux.

 

Le fruit du hasard.

En effet, si l'on regarde un arbre généalogique, on s'aperçoit qu'il suffit d'enlever une branche pour que cela ne parvienne plus jusqu'à soi. C'est la même chose pour tout le monde me direz vous ? Effectivement. Mais quand on y pense, on se dit qu'on a bien de la chance qu'un de nos ancêtres ne soit pas mort avant l'heure. Cette généralité étant édictée, passons au cas particulier qui nous intéresse aujourd'hui : MOI.

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Un six-milliardième de l'humanité

Mais, un six milliardième très chanceux d'être né "là où il faut". En France, je suis un collégien qui a des droits et qui est respecté. Qu'aurais-je été à Manille ? Cireur de chaussures ? Au Rwanda ? Orphelin réfugié ?  Pour ne pas citer pire...

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Un amateur de sports et de nature

Un été, il y a longtemps, nous nous trouvions, avec la famille au grand complet, réunis dans une immense salle avec beaucoup de monde. Au milieu, il y avait des gens qui faisaient tomber d'autres sur un grand tapis vert. On m'avait expliqué que parmi ceux-là il y avait ma tante. Je ne me souviens pas de grand chose, seulement que mon père et d'autres grandes personnes avaient l'air très excités : ils se levaient, criaient, se tapaient le front. Ils ne faisaient pas attention à moi.

C'était en 1992, dans le dojo de Barcelone, ville Olympique. Ce jour-là, Laetitia reçu le médaille de bronze du judo.

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Je pratique aussi le sport UNSS : le handball, l'escalade et pendant l'été, un sport beaucoup moins courant (c'est le cas de le dire) : l'alpinisme. C'est là où le sport rejoint la nature, si toutefois, on réduit la montagne à un sport. En effet, un sport est régi par des lois inventées par l'homme, pour l'homme. La montagne a ses propres règles auxquelles l'homme doit se plier. Les courses (c'est ainsi que l'on appelle en jargon montagnard les randonnées en haute altitude) sont donc faites d'imprévus et l'alpiniste l'apprend rapidement. Néanmoins, la beauté du cadre, les nuits en refuge à plus de 2500 m d'altitude et les sensations ressenties à l'arrivée au sommet sont des émotions irremplaçables.

La montagne est aussi un des derniers terrains où les promoteurs et la société de consommation ne s'aventurent pas encore trop (excepté l'hiver, les stations de ski) et où, quoi qu'on fasse, on n'est pas à l'abri d'une chute de pierre, d'une avalanche ou autres... Où l'on peut s'en remettre à personne en terme de responsabilités (depuis peu, apparaissent des procès contre les guides lors d'accidents survenus en haute montagne). C'est avec la mer, un des derniers terrains d'aventure en Europe....

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Un collégien

Par définition, un collégien se pose des questions sur ceux (ou ce) qui l'entourent et sur lui-même. Voici, résumées, quelques unes des interrogations que je me pose.

J'ai toujours été passionné par l'histoire et surtout par la deuxième guerre mondiale. J'ai lu beaucoup de livres écrits par des déportés, puisés dans l'inépuisable bibliothèque de Chantal.

C'est en repensant à ces histoires d'humiliation et d'horreur, que je regarde avec incompréhension les photos des quotidiens montrant un Autrichien au bras tendu à la façon Hitler. Ce geste qui fait si froid dans le dos...

Comme vous le saviez, j'aime le sport et l'effort dans le seul but de chercher ses limites physiques ou de se mesurer pacifiquement aux autres.

De récentes affaires de dopage et de corruption des stars du sport, m'ont beaucoup affecté, d'autant que j'aimais bien regarder le tour de France. Or, depuis que je fréquente la compétition à un certain niveau, je me rends compte que dans certains gros clubs, il n'y a pas que le plaisir qui compte. En effets, certains "coach" ne cessent de crier sur leurs élèves en train de combattre ou contestent l'arbitre à la moindre erreur. Ce qui démontre qu'il y a d'autres intérêts en jeu que ceux purement sportif.

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A mon arrivée au collège, j'ai eu beaucoup de mal à me faire accepter et je ne le suis pas encore totalement. Parce que j'ai sauté une classe et j'ai d'assez bonnes notes, j'ai acquis, contre mon gré, une réputation "d'intello" (dont le sens est devenu péjoratif; en jargon collégien, il est souvent amalgamé au terme "lèche-bottes"). Ensuite à cause de ma taille relativement petite, en cinquième, j'avais pour surnom "Atchoum !" (cf.Blanche-neige et les sept nains). J'ai aussi résisté à la loi en vigueur qui veut que tout le monde soit pareil. J'ai dû bien sûr faire quelques concessions, notamment à propos de la mode vestimentaire : je porte quelques vêtements de marque, véritable uniforme du collégien. Malgré cela, je me suis fait beaucoup d'amis avec qui j'entretiens des relations naturelles et plaisantes.

 

Je me considère comme un adolescent heureux : ma vie est faites d'activités très diversifiées et enrichissantes (au moment où j'écris, c'est la première fois que je reste chez moi plus d'une semaine pendant les vacances). De plus, ma situation familiale est agréable; on m'avait prédit une crise d'adolescence, l'opposition aux parents, le refus des adultes : rien du tout. Je me sens avec mes "vieux" mieux que jamais.

Pour clore cette histoire, je me contente de dire que je préfèrerais ne pas avoir à conclure trop vite : beaucoup de pages sont encore blanches..."

 

Anouk Meignan

Extraits de "Autobiographie", en 3e1 au collège Jean-Zay de Morsang sur Orge. Février 2000.

 

Dans les Pyrénées, avec son père
Dans les Pyrénées, avec son père
Dans un fort vent, vers la Meije Orientale en septembre 2000.
Dans un fort vent, vers la Meije Orientale en septembre 2000.
Anouk fait sa trace sur le Dôme des Ecrins,  le 8 mai 2001....
Anouk fait sa trace sur le Dôme des Ecrins, le 8 mai 2001....

 

Le 13 juillet 2001,

après un bivouac au sommet de Tête de Clotinaille (Écrins sud), au dessus de la maison familiale de Serre Buzard, Anouk mon fils de 15 ans a fait une chute de 300m, fatale.

 

 

 La Meije et ses voies d'escalade ont été pour lui un formidable rêve.
La Meije et ses voies d'escalade ont été pour lui un formidable rêve.

 

 

" Salut mon fils,

tu es pour toujours par là haut...

La Meije te faisait rêver,

elle est toujours là

et elle est toujours aussi belle !

Tu en rirais de bonheur "

 

Ton père, Frédi.

 

mai 2013