Histoire, alpinisme

Grand Pic de la Meije, 3983m :

Face Sud directe

Ou, voie Allain-Leininger

ou, plus couramment encore "La Pierre Allain".

Cette face Sud du Grand Pic de la Meije est impressionnante. 900m de face raide, belle  et en bon rocher. Un des très grands itinéraires d'alpinisme, sur un sommet mythique !
Cette face Sud du Grand Pic de la Meije est impressionnante. 900m de face raide, belle et en bon rocher. Un des très grands itinéraires d'alpinisme, sur un sommet mythique !

Un grand merci à...

Paul Allain.

 

A plusieurs reprises nous avons rencontré Paul, à Freydières. Il nous avait promis de rechercher parmi les archives de son père. Paul avait notamment conservé, et nous a communiqué, ces documents écrits par Pierre Allain lui même. Le texte relate en quelques mots l'ouverture de la Directe Sud du Grand Pic en 1934 et 1935. Une première qu'il raconte avec une humilité incroyable, un grande sincérité, de l'humour, avec aussi ses "conflits" et beaucoup... de bonheur !

Aujourd'hui encore tous les alpinistes qui se retrouvent un jour au pied de cette face sont marqués par l'ampleur impressionnante de la muraille (deux kilomètres de large et près d'un kilomètre de haut). Marqués aussi par l'engagement extrêmement fort dont Pierre Allain et ses amis ont dû faire preuve quand ils se sont lancés à la recherche d'un itinéraire dans ce labyrinthe verticale pour atteindre le sommet du Grand Pic de la Meije, pour la 1ère fois par sa face sud !

Il semblerait que pour l'ouverture de la partie finale en 1935,  Allain et Leininger n'aient utilisé que 3 pitons...

Pierre Allain est décédé en décembre 2000. A ce moment là Patrick Berhault était engagé dans la Grande Traversée des Alpes. Et le 22 décembre en arrivant vers la Meije, Patrick Berhault a gravi avec Philippe Magnin, en hivernale,  la Directe Sud du grand Pic, en hommage à Pierre Allain.

Aujourd'hui cet itinéraire historique connaît un grand succès de fréquentation et d'estime par des alpinistes confirmés de toutes générations. Ces dernières années les jeunes (et forts) grimpeurs, de retour au refuge, arrivent souvent "estomaqués" par le "culot" de nos anciens ! "Comment ils engageaient...et avec le matos de l'époque...". Ça laisse rêveur...

La face Sud  du Grand Pic de la Meije et le refuge sur l'arête du Promontoire.
La face Sud du Grand Pic de la Meije et le refuge sur l'arête du Promontoire.

Document 1.

1934 : la Face Sud de la Meije !

Par Pierre ALLAIN.

"Fatigués d’errer dans les rues de Chamonix, encagoulés, pieds nus, ruisselants de toute la pluie de cet été pourri, sollicités par les Vernet, nous avions décidé, Jean Leininger et moi, d’aller tenter notre chance en Oisans. Descendus à Ailefroide, nous avions gagné la Bérarde par le glacier Noir et le Col de la Temple. Contrairement à l’accoutumée, je ne m’occupe que de peu de chose, je me laisse entraîner par un Jean Vernet volubile, qui a prévu et organisé toute la course.

 

De la situation du maître de maison, avec ses soucis et responsabilités, je passe à celle de l’invité qui n’a pour toute obligation que de soutenir la conversation avec esprit, s’il le peut, engouffrer des petits fours et faire le joli cœur auprès de la maîtresse de maison ou de quelque autre dame. Cette situation me confère une tranquillité d’âme inhabituelle et je ne manque pas d’en savourer pour une fois tout le charme reposant.

 

Dans le vallon des Étançons, l’un suivant l’autre, lentement, en direction du Promontoire, nous égrenons en cadence, grâce au soleil implacable de ce bel après-midi de septembre, de nombreuses gouttes de sueur sur les lacets du chemin. Par moments, la contemplation de la « Grande Muraille » nous apporte un repos trop court, pendant lequel notre projet d’itinéraire est discuté. Puis la marche reprend monotone .

 

Des souvenirs sur cette belle montagne me reviennent en mémoire. Quand en 1928, avec Robert Latour, nous nous étions trouvés au Promontoire avec l’intention de faire la traversée classique des arêtes, projet qui n’eut pas de suite à cause d’un temps menaçant et qui se termina par un retour Etançons-Col des Chamois-refuge de l’Alpe, je ne me doutais pas, moi qui trouvais déjà bien téméraire ce projet d’alors, que j’atteindrais pour la première fois le sommet par un itinéraire nettement plus difficile et entièrement nouveau, le long d’une muraille qui n’aurait pas manqué de me paraître formidable, si je l’avais, à ce moment, examinée dans cette intention. Il est vrai que je n’aurais peut-être pas compris alors l’intérêt d’une voie différente de la normale : l’une et l’autre n’aboutissaient-elles pas au même but ? Les idées évoluent les conceptions changent .

 

Le Promontoire, perché sur son épaule rocheuse, se défend encore de ses dernières armes, mais nous trouvons la ligne de moindre résistance qui, à travers sa cuirasse de roches escarpées, nous permet de le joindre facilement.

 

Après la prise de possession habituelle : inspection des lieux, découverte des derniers croûtons, lecture du livre de bord et les rites normaux du manger et du coucher, satisfaits, nous nous endormons.

 

Partis du refuge au petit jour, engagés dans la voie normale de la Meije, après avoir en avoir gravi quelques blocs, nous la délaissons pour redescendre par un couloir raide et croulant jusque sur le glacier des Étançons. Sur ce glacier, une traversée légèrement ascendante nous mène à l’attaque du premier ressaut. Raide et humide, mais garni d’excellentes prises, ce début, vite enlevé, nous met en confiance. Devant nous, une zone facile de dalles faiblement redressées vient buter au pied de toute la partie raide, domaine des difficultés réelles.

 

Les chaussures font place aux espadrilles et déjà Jean Vernet s’affaire sur une dalle de 25 mètres. Je me laisse conduire et vis comme en un rêve. Je dois me forcer pour prendre connaissance des réalités. Un autre (qui a fait ses preuves) dirige la course, moi, je ne m’occupe aujourd’hui que de goûter la joie de l’escalade et la pureté d’un ciel sans tâche.

 

Quant à Jean Leininger, optimiste invétéré, indifférent aux contingences matérielles, il ne s’occupe bien entendu de rien. Pour lui, ce n’est guère un changement et il savoure pleinement la joie de vivre et de se dépenser.

 

Plus haut, après avoir gravi un petit mur difficile d’une dizaine de mètres, notre leader, apparemment pas très en forme aujourd’hui, semble peiner sur ce qui sera, je crois la principale difficulté de la journée. Il s’agit d’un nouveau mur, vertical, dont le passage-clef s’amorce par un mouvement oscillant vers la gauche. Vernet renonce et redescend.

 

Après sa tentative avortée, il me demande d’essayer et de prendre la tête ; ce que je fais. Mais si je conserve dès lors jusqu’au sommet l’honneur qui vient de m’échoir, par contre, je continuerai à laisser peser sur les épaules du Niçois la charge morale et la responsabilité de conduire la course. Je suis bien décidé, en mon for intérieur, à ne pas me départir en cette journée bénéfique de mon insouciance accidentelle. Ceci déterminé, je surmonte l’obstacle et fais venir mes camarades.

 

Devant nous, en excellent rocher (la Meije est d’ailleurs toute entière de cette qualité et c’est le seul cas en Oisans, prétend la légende !), une belle fissure verticale et un mur à droite avec sortie à gauche, nous conduisent au bord d’un grand couloir-cheminée. Dans celui-ci nous gravissons la paroi gauche, puis le fond très étroit jusqu’à une petite plate-forme.

 

La glace apparaît et encombre tout le fond du couloir, ce qui nous force à délaisser celui-ci : nous franchissons une échine rocheuse lisse et très raide et ensuite, par des terrasses et des rochers faciles, nous accédons à de grandes vires à hauteur de la base du glacier Carré.

 

Ici, pour un temps je sors de ma léthargie morale, et entre en conflit avec mes compagnons. Il ont l’intention, la course étant gagnée, disent-ils, de ne pas jouer au plus malin et de se contenter de tourner l’édifice sommital par le glacier Carré et l’arête sud-ouest .

 

C’est la thèse de la facilité. Je prétends, moi, qu’il serait beaucoup plus élégant et logique de rester dans la face sud et de maintenir la rectitude de notre itinéraire jusqu’au sommet. Ils sont sourds à mes arguments et, seul de mon avis, je suis obligé de rallier la majorité. Mais je me promets de revenir un jour rectifier cet itinéraire en crochet.

 

Nous gagnons donc , par des vires larges, aux bords arrondis et usés par l’érosion, le bas du glacier Carré. De là, comme prévu, l’arête sud-ouest ne nous offre que peu de difficultés jusqu’à la jonction avec l’itinéraire normal, quelques minutes seulement avant le sommet. Il est 16 heures.

 

L’horaire n’a pas été spécialement rapide mais qu’importe, le temps toujours clément va nous permettre de repartir sans inquiétude.

 

Nous ne nous attardons guère que trois quarts d’heure, mais nous aurons beau nous presser, la nuit sans lune arrêtera notre retour juste au milieu du couloir Duhamel. Là, nous ne voyons plus rien, il nous faut bivouaquer dans des positions inconfortables, avec un matériel plutôt réduit.

 

La nuit est froide et les heures sont interminables. Souvent nous changeons de position. Tour à tour nous occupons la marche, la niche ou la petite vire. Bien avant le jour, dès que les prises se peuvent deviner, nous filons sur le Promontoire."

 

Années 2010... la gardienne du Promontoire (Nathalie) dans la "Pierre Allain". Photo Christophe Moulin.
Années 2010... la gardienne du Promontoire (Nathalie) dans la "Pierre Allain". Photo Christophe Moulin.

 Document 2.

1935 : la Face Sud de la Meije !

Par Pierre ALLAIN.

"Têtu, je reviens à la charge avec mon compagnon de course de cette année, Raymond Leininger, que j’avais pu convaincre très facilement de la nécessité où nous nous trouvions de rectifier l’itinéraire de 1934.

 

A hauteur des vires du glacier Carré où nous retrouvons des traces de l’année dernière, notamment un bidon oublié par Vernet, nous montons verticalement et très légèrement sur la droite.

 

Après avoir gravi environ soixante-dix mètres et franchi deux passages en surplomb très difficiles, de l’ordre d’un degré supplémentaire à ce qu’on peut trouver plus bas, nous suivons à droite une fissure-vire horizontale, suspendus par les doigts. Ceci marque la fin de ces nouvelles difficultés. Seuls quelques blocs encore un peu sévères nous séparent d’un couloir qui va nous conduire assez rapidement à la brèche située entre l’épaule sud et le sommet.

 

Bien entraînés, nous touchons ce dernier à 14h30. Horaire rapide pour cette nouvelle voie.

 

Déjeuner et tour d’horizon habituel. Nous disséquons les lointains et reconnaissons les sommets amis ainsi que le curieux plan d’eau du Chambon qui brille au fond de la vallée de la Romanche. Dans le nord, au loin, le Mont Blanc règne sur les sommets de Savoie. Plus près, Belledonne et les Grandes Rousses montrent leurs aspects familiers, ce qui vaut à mon compagnon une audition spéciale de quelques-uns de mes souvenirs de jeunesse.

 

Mais le temps passe trop rapidement et c’est le retour bien connu sur le Promontoire où nous arrivons, la conscience tranquille, comme seule peut la donner la satisfaction du devoir accompli. La voie est rectifiée."

 


Pierre Allain

La "Pierre Allain" aujourd'hui :

https://www.camptocamp.org/routes/54615/fr/la-meije-grand-pic-voie-allain-leininger-face-s-directe-ou-pierre-allain

La "Pierre Allain" est inscrite dans la liste de course pour le probatoire d'Aspirant Guide, en France.