Ou l'importance de l'humilité en montagne....

Les accidents en montagne sont souvent liés à des erreurs humaines (et ça peut arriver à chacun d'entre nous). C'est tout l'intérêt d'étudier l'accidentologie et de tenter d'améliorer la prévention à tous les niveaux.

Mais dans certains cas, heureusement rares, ils peuvent êtres liés à des comportements humains discutables, voir pas très responsables. Retour sur une expérience concrète vécue cette nuit (et qui m'a fait un peu... être en colère ce matin).

 

Mardi 15 août 2017 :

La météo est plutôt bonne mais avec toujours une instabilité et des cumulus l'après midi. Météo France a mis l’Isère en "Vigilance jaune, faible risque d'orage localisé en fin de journée". Au refuge, comme d'habitude nous discutons avec les guides et les cordées et nous décidons des réveils à 3h45 et 4h30 pour que les cordées arrivent avec une bonne marge de sécurité de l'autre coté, à l'Aigle. Les cordées avancent bien, sauf une cordée "d'anciens" (70 et 72 ans) qui avancent trop lentement et nous fait souci (voir le "En direct" du 16 août).

En début d'après midi une cordée est à l'approche du refuge, nous distinguons des matelas sur les sacs. La totalité des cordées (et en premier lieu les guides)  qui passent ici pour monter bivouaquer s'arrêtent au refuge pour prendre des infos et échanger sur les conditions. Cette cordée d'hier (un père et son fils) arrive ici et passe sans un coup d’œil, sans un mot, apparemment bien sûrs d'eux-même. Nous sommes un peu surpris, je crois que cela ne nous est jamais arrivé... Après être, par erreur, monté sur la bosse à droite du refuge, ils ne trouvent pas le passage du Crapaud (nous pensons donc qu'ils ne connaissaient pas cette montée au Grand Pic). Plus haut nous les voyons se diriger vers le "Mauvais pays". Le soir une cordée nous raconte qu'en croisant la cordée montante alors qu'eux même redescendaient de la "Pierre Allain", celle-ci leur demande "par où c'est...?". Le soir à 17h30 le bulletin Météo France de Briançon (accessible par téléphone depuis le sommet du Grand Pic) annonce clairement un passage perturbé en milieu de nuit avec un retour au calme après 3h du matin. A 17h30 il est encore temps de finir la traversée de la Meije et d'aller dormir à l'Aigle. La cordée père/fils fait le choix de rester au sommet de la Meije. Avant minuit, le vent se lève, les nuages noirs envahissent le ciel, il commence à pleuvoir, là haut il neige.

Au refuge de l'Aigle et au Promontoire, nous sommes en alerte et en lien avec les secours pour la cordée des "anciens" qui est en difficulté sous le Doigt de Dieu et en versant Sud pour une cordée d'Italiens qui réussira à se tirer d'affaire par elle même après s'être trompée d'itinéraire, en début de nuit.

Le jour se lève et les nuages de la nuit s'évacuent. Coup de fil du poste de secours en montagne d'Huez, ils ont reçu un appel téléphonique d'une cordée qui demande à être évacuée en hélicoptère du sommet du Grand Pic... Ils ont mal dormi et ils ont froid... L'équipage nous demande les conditions météo sur place (le vent souffle à 50 km/h). Le pilote, le mécanicien de la Sécurité Civile, deux secouristes CRS sont engagés. Ils se posent sur la DZ du refuge, remontent à 4000m reconnaître les conditions aérologiques compliquées là haut. Un guide monté le matin même avec son client depuis le refuge  assure la liaison radio et la sécurité au sommet. Ils vont devoir treuiller un premier secouriste, redescendre et remonter pour treuiller d'abord le fils, descendre au refuge puis remonter et treuiller le père. Les hélitreuillages dans ces conditions, à 4000m, sont toujours "engagés à très engagés" pour tous... Avec près d'une heure d'intervention l'hélico repasse au refuge pour récupérer tout le monde. Pendant l'intervention je discute avec un secouriste sur la DZ. Je suis en colère (et je crois qu'il la partageait bien). Quand on s'engage dans une aventure comme la Traversée des Arêtes de la Meije (qui plus est avec un bivouac à 4000m) on prend le temps de discuter avec tous ceux qui peuvent aider à prendre de bonnes décisions. J'insiste, la totalité des guides qui pourtant travaillent sur ces terrains en permanence font toujours très attention à prendre toutes les infos possibles, et entre autre en passant au refuge où le gardien vit 5 mois par an et connaît, un peu, le territoire et les éléments. Entre deux treuillages je discute avec le fils sur la DZ, il me dit que son père est président d'un club de montagne, j'en reste sans voix...

En montagne l’humilité, le partage, le respect et la prise en compte des avis et... de la vie des uns et des autres sont des éléments fondamentaux, heureusement très très largement partagés. La beauté des relations humaines, respectueuses, sont même à mon avis un aspect essentiel de la beauté des expériences de vie en montagne.

 

Le gardien, Frédi Meignan

Mercredi 16 août, au Promontoire, 14h.

 

Un très très grand merci au pilote et au mécanicien de la Sécurité Civile de Grenoble, aux secouristes CRS, aux guides mobilisés pour évacuer la cordée...